Complémentarité entre systèmes monétaires complémentaires et systèmes d'échanges

dimanche 14 novembre 2004

Par Pascale Delille

Chantier monnaies sociales Alliance 21

La valeur de l'activité humaine et des productions tangibles de l'économie se fait capter par le système monétaire international, par un tour de passe-passe vampire qui aboutit au fait que l'argent est devenu la marchandise qui a le plus de valeur dans un monde de plus en plus virtuel (les marchés financiers) au détriment de l'économie réelle.

L'argent est ce qui produit actuellement le plus d'argent dans un système spéculatif que plus personne ne peut contrôler alors que les marchés financiers ont pris le contrôle de tous les états (tous sont endettés) et qu'ils peuvent, en l'espace de quelques jours mettre n'importe quel pays à genoux (comme un pays récalcitrant qui souhaiterait s'autonomiser par exemple).

L'argent qui ne devrait être qu'une simple mémoire/reconnaissance de dettes (ou plutôt reconnaissance de création de richesses), a développé une hypertrophie de sa fonction de réserve de valeur provoquant un phénomène d'accumulation hors sol, asséchant l'économie réelle (bulles spéculatives allant crescendo jusqu'à l'effondrement final du système qu'elles vampirisent comme dans n'importe quelle pathologie cancéreuse).

L'argent devient une denrée rare pour la grande majorité de la population qui ne vit pas de spéculation, d'autant plus rare que les états se sont laissés spoliés (dans les faits) de leurs capacités à décider de son émission.

Le pouvoir appartient à ceux qui organisent la distribution de cette rareté : c'est ainsi que les marchés financiers ont pris le contrôle des états.

Le paradoxe est que nos sociétés occidentales sont en surproduction, avec des populations surqualifiées, alors que de nombreux besoins ne sont pas satisfaits. C'est le système monétaire qui opère une régulation de type politique en décidant que telle activité n'est pas assez rentable, que tels besoins ne sont pas solvables. Les politiques publiques pour ne pas déroger à l'énorme intoxication idéologique que représente la notion de libre concurrence interviennent de moins en moins dans ces nouvelles lois de la jungle. Or un développement durable et responsable est incompatible avec les dérégulations sauvages qu'implique une libre concurrence et c'est l'avenir de la planète qui est en jeu.

Maintenir une insuffisance chronique de l'argent induit un état de guerre sociale et permet l'exploitation des salariés et des groupes sociaux les moins combatifs (comme les femmes par exemple). Les solidarités sont beaucoup plus difficiles à maintenir et la coopération est mise à mal. La responsabilité sociale est reléguée au second plan à cause de la compétition permanente.

Sortir du système de l'argent-marchandise : valoriser toutes les plus values sociales

Il suffirait de se donner un autre système de valorisation pour décider que toute demande qui rencontre une réponse appropriée crée automatiquement des unités de reconnaissance de dettes, qui permettront un avoir ultérieur dans la collectivité qui reconnaît ce nouveau système. Cette nouvelle manière de réguler les échanges sociaux, qui solvabilise automatiquement tous les besoins et fait de leur satisfaction, la véritable source de la richesse, est tout aussi arbitraire que notre système actuel de rareté artificielle (mais tout système de valeur est fondé sur des conventions et reflète les présupposés idéologiques du groupe qui l'utilise : il n'existe aucune naturalité dans ce domaine).

Les SEL (système d'échange local) pratiquent ce système de crédit mutuel, dans lequel l'unité d'échange n'a aucune valeur en soi et permet juste de différer la réciprocité des échanges dans le temps et dans le groupe. Les unités se génèrent automatiquement sur la base d'un simple accord entre les protagonistes de l'échange, sur l'indication d'une unité par minute (une heure = 60 unités) et viennent valoriser/mémoriser toute activité entre au moins 2 individus qui répond à un besoin. La personne ou le groupe bénéficiaire se débite d'autant et il se crée un différentiel égal à 0 qui permet une auto régulation aisée du groupe. Seules les informations sont centralisées dans ces systèmes (catalogue des offres et demandes, comptabilité des unités de chaque participant) et rendues visibles pour permettre cette auto régulation.

Mais l'émission d'unités se décide librement entre membres : ce système est donc toujours disponible, abondant, pour valoriser ce qui est déjà là, tout ce qui peut se créer et tout le temps passé. Pour le moment, ce système valorise surtout de l'échange de service et du recyclage d'objets d'occasion (ce qui est une fonction intéressante dans une optique de décroissance soutenable). Il n'y a pas de production dans les SEL (ou une très marginale autoproduction artistique ou artisanale : confitures, pâtisseries, etc.)

Systèmes monétaires intermédiaires

Souvent l'idée de passer d'un état d'impuissance et d'asphyxie à un état d'abondance et de liberté fait peur et il semble, que pour gagner la confiance, il soit nécessaire de passer par des étapes intermédiaires que sont les monnaies polyaffectées et cautionnées par l'argent officiel (de type Chèque-déjeuner, par exemple). Les 2 types de systèmes continuent à se développer en Europe mais cette dernière forme permet de rallier plus facilement des entreprises et des revendeurs.

Ces monnaies à usage limité à un secteur ou un territoire, peuvent le plus souvent être remboursées (moyennant une faible retenue, parfois, pour rémunérer le circuit), ce qui rassurent les participants mais provoque l'incrédulité des observateurs extérieurs : pourquoi utiliser un bout de papier qui a la même valeur que l'euro alors qu'il paraîtrait plus simple d'utiliser directement l'argent officiel.

En fait, même si on reste en système raréfié à cause de la nécessite de cautionner, il y a de nombreux avantages :

 La richesse produite reste dans la localité ou dans le circuit qui utilise la monnaie cautionnée et ne s'échappe pas vers les produits des grandes firmes internationales, qui se permettent de produire à bas prix des marchandises au coût social et écologique délétère pour la planète.

 Face à cette concurrence déloyale et à terme destructrice, cette monnaie crée un marché privilégié, fondé sur la notion de préférences collectives, qui labellise des produits et services. Elle sert de support à la communication sur les condition des productions : il existe souvent une charte éthique et environnementale qui encadre et renseigne sur la responsabilisation sociale des participants. Les monnaies vectrices d'informations et support pédagogique de développement durable et de commerce équitable de proximité, seront probablement une piste pour l'avenir, afin que les citoyens puissent consommer en toute conscience politique de la portée de leur acte.

 Elle démultiplie l'activité économique locale ou sectorielle et devient un puissant facteur de développement local, facilement mesurable grâce à des indicateurs ad'hoc (toutes les expériences passées et actuelles le confirment). On pourrait supposer qu'elle participerait au développement d'un commerce équitable Sud-Nord de la même façon.

Enfin, si la gouvernance des ces nouveaux systèmes monétaires complémentaires est organisée d'emblée de façon participative (avec les techniques des budgets participatifs, par exemple), la construction de nouvelles coopérations entre les différents participants devient possible (collectivités territoriales, entreprises en voie de responsabilisation sociale, production locale, petite distribution, associations, etc.) et produit une cohésion sociale renouvelée sur un territoire ou dans le secteur (l'économie sociale et solidaire, par exemple) que ces monnaies permettent d'irriguer.

Les systèmes monétaires complémentaires et les systèmes d'échanges locaux se sont réunis en juillet en Allemagne, à l'initiative du groupe allemand Moneta. L'analyse proposée ici est une synthèse de différentes réflexions qui nous traversent et qui sont le plus fréquemment partagées dans le monde des monnaies complémentaires.

Pascale Delille fait parti des animateurs de l'atelier TRANSVERSEL et de l'atelier "International" de l'association Selidaire